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BERLINDE DE BRUYCKERE.

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Comment rendre compte de la finesse de la chair?
De la composition et de la décomposition des corps?
Et de la surimpression de la vie fantasmatique?

                             

                                                                                                    *    

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Si vous ne connaissiez pas Berlinde de Bruyckere, voilà l’occasion de
comprendre comment répondre à ce genre de préoccupations et de défis.

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Ses sculptures sont exposées à Paris à la Maison rouge, au côté des
dessins de Philippe Vandenberg, son compatriote et ami.
Berlinde de Bruyckere est commissaire de cette exposition au nom mnémotechnique
de « Il faut tout oublier ».

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Voici une réflexion sur son travail en général et une œuvre en
particulier : Actaéon IV exposée cet été en Avignon à la fondation Lambert.

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Berlinde de Bruyckere c’est d’abord un nom…. magnifique.
Il évoque à la fois les vapeurs exacerbées du catholicisme poussé dans les retranchements d’un monastère et la vie ascétique d’une nonne (Ste Berlinde morte en 722), les canaux endormis de Flandres et l’agneau mystique de Van
Eyck.

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Les sculptures de Berlinde de Bruyckere …..C’est un fracas de vies.             
L’humain, l’animal et le végétal y mènent en général une lutte sans merci.
Impossible de les démêler et de les démembrer.
Comment savoir où commence et où finit l’univers de l’un et de l’autre ?

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                                                            *

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Dans la sculpture Actaéon IV, que l’on pouvait voir à la fondation Lambert, des
corps hybrides cousus entre eux – bouts de chair humaine, panses d’animaux,
cornes de cerf −  sont déposés sous forme de fagot sur un billot.
Billot implacable du boucher.

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Pour cette sculpture Berlinde de Bruyckere s’est inspirée de La légende
d’Actéon qui depuis l’antiquité passionne les sculpteurs, les peintres
(Delacroix, Boucher), les compositeurs de musique (Charpentier).
Cette légende est la suivante : Actéon fut élevé par le Centaure Chiron qui fit de
lui un chasseur très habile.
Un jour, au cours d’une chasse, il s’égara et aperçut Diane qui se baignait nue avec d’autres nymphes dans une source. La colère de Diane qui fit suite à cette effraction est racontée magnifiquement dans les métamorphoses d’Ovide: “Diane prit de l’eau, la jeta à la face de l’homme… elle ajouta ces paroles, annonciatrices du malheur à venir : « maintenant va raconter que tu m’as vue sans voile » et sur ces mots elle le transforma en cerf. Actéon fut alors dévoré par la meute de ses 50 chiens qui ne le reconnurent pas.

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Actéon c’est donc le dénouement d’une histoire où, en punition d’une certaine curiosité, un homme est changé en cerf.
La sculpture  Actaeon IV, ce sont des corps morcelés, recousus dans le réel sous l’action unifiante du mythe, corps jetés en vrac sur un billot.


Le billot, dans cette sculpture, est élevé en lieu et place d’un Autel.
Est-il, alors, l’autel du mystère christique, de l’ancestrale énigme de la transformation… transformation du corps d’un homme ?
Car il s’agit bien, dans Actéon IV, de cette entêtante question. La question d’une métamorphose.
Métamorphose qui, ici, va de l’humain vers l’animal.

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                                                                 *

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Dans l’œuvre de Berlinde de Bruyckere cette question de la métamorphose est omniprésente.
D’une manière générale, elle semble au premier coup d’œil :
- placée sous le cycle infernal de la vie: ce qui meurt, pourrit sur place, et 
  nourrit le vivant.
- mais à mieux y regarder comme ici, la  métamorphose nous renvoie à 
  d’autres concepts plus mystiques ou mythiques.

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En littérature, de Ovide à Kafka, et au cinéma la question de la métamorphose
n’a cessé de hanter les esprits. Il s’agit de regarder le nombre de films
fantastiques qui sortent tout azimut sur les écrans (Le Loup Garou de Londres, etc.).

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La Belgique est un tout petit pays, mais elle nous donne du fil (ou du film) à
retordre tant elle nous supplante dans l’art de la métaphore et de la métamorphose. Jérôme Bosch en était le maître. Nous pourrions continuer avec Magritte, Panamarenko, en passant par James Ensor, Marcel Broadthers, Thierry de Cordier, Felicien Rops et Walter Swennen.


L’art belge est par essence « contre nature « .


Vous n’avez alors qu’un léger aperçu de ce qu’est l’idée de l’absurde, du beau bizarre et de la dérision.


Plus près de nous, avec d’autres supports artistiques, les chansons  Arno et Dick Annegarn, la BD et ses personnages Ubuesques tels Bécassine, Gaston Lagaffe, Achille Tallon, Le Génie des Alpages, Le Chat et l’extraordinaire Cowboy Henk.

Berlinde de Bruyckere est alors complètement dans la lignée de ses
compatriotes, dans sa façon de traiter de l’absurde, en usant de la métaphore
et de la métamorphose.

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                                                                  *

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Doit-on évoquer des éléments de sa vie pour comprendre son travail?
Rajouter à l’anecdote en évoquant pour la énième fois la boucherie de ses parents?
Un lien est-il possible entre son obstination à faire émerger le
souvenir d’une perception de la chair et les pratiques d’un artisan, que Berlinde
a dû voir maintes fois à l’œuvre ?
- Aiguiser son regard à surveiller la coloration d’une chair qui ne doit pas
faisander, mais qui doit malgré tout maturer avant d’être vendue et débitée.
- Maîtriser les techniques de conservation de la viande: salaison, fumage,
séchage. Viandes pendues aux crochets pour optimiser le travail. Conservation
dans la chambre froide, laissant loin derrière l’époque révolue « du bœuf
écorché » de Rembrandt sans réfrigération moderne.
- Mettre en œuvre sa perspicacité pour repérer le cartilage, l’os, l’articulation
d’une carcasse animale. Avec dextérité, y planter son couteau et dégager une
épaule, un jarret, le collier, la poitrine.
Technique habile de l’artisan, qui permet de démarquer des parties du corps,
de les différencier. Le boucher avec cette simple technique, aurait-il pu alors, résoudre l’inquiétante question de corps enchevêtrés ? Une demande lui est-elle formulée, à travers cet amalgame d’éléments déposés en offrande sur le billot?

 

                                        

                                                  *

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Plutôt que de toujours piocher dans le réel, je préfère me raconter et
m’imaginer l’histoire suivante, en suivant les pas et la rêverie de Berlinde enfant.


Berlinde a vécu à Gand, une ville entourée de bois.


Elle aimait sûrement se promener dans ces forêts écorchées et griffées.
Les yeux grands ouverts, le jour.
L’imagination au galop, la nuit. Une oreille imaginairement collée à la chambre parentale, une autre à se rappeler les bruits, « enchanteresques » et effrayants, entendus dans les bois aux alentours de Gand où bovidés à cornes et autres animaux mythiques attendent le petit matin pour s’ébattre et venir se ressourcer près des étangs.
« La bête à 2 dos » (au sens propre et figuré) a peut-être pris corps une de ces nuits-là!!!

Y errait-il l’idée du péché ? Et alors d’une rédemption ?
Corps punis (comme dans Actéon, comme dans Adam et Eve) d’avoir levé le voile sur ce qu’il ne fallait pas voir, d’avoir compris ce qu’il ne fallait pas comprendre.
Les figures d’Adam et Eve peints sur le retable de Van Eyck (nommé aussi Autel de Gand), Berlinde de Bruyckere a dû les voir et en être imprégnée.

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Alors les corps ne seront pas bannis définitivement.
Ni même dépecés sans raison.

Sans raison mortifère comme dans une boucherie.
Ils ont une âme.
L’âme catholique, qui règne dans ce pays qu’est la Belgique,
marquée par le flamboyant du catholicisme espagnol.
Les corps ressuscitent. Ils revivent.
Dans quel monde et sous quelle forme ?
C’est peut-être de ce mystère

dont l’œuvre de Berlinde de Bruyckere témoigne ?

 

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                                                                                   Anne GALZI       

                                                                                       

                                                                              Tous Droits réservés

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